Bruxelles, jeudi 31 Mars 1892
Mon cher Mane,
Je m'excuse d'avoir tardé à te répondre, mais je me trouve dans l état d'agacement d'un homme obligé d'étudier un examen qui l'ennuie,[1] quand il voudrait s'occuper de choses bien différentes. Je bloque, j'ai les nerfs malades, le cerveau disloqué & je suis de fort méchante humeur. Tu le vois, je n'aurais pas fait un spectateur attentif ni même résigné & j'aurais peut-être fort mal reçu la musique de Peter Benoît![2]
Aller au théâtre m'est quasi une corvée: si la pièce est mauvaise, je ne suis pas satisfait; & si elle est bonne elle émeut outre mesure, m'exacerbe les nerfs: j'en deviens malade! Me voilà aussi sensible qu'une jolie femme, sans avoir les agréments de la position.
Je suis obligé de me soumettre à un régime bénéficiant, d'éviter toute excitation physique ou psychique: je ne bois plus rien, je ne fume plus la moindre cigarette, j'ai enfermé les "Diaboliques" de Rops[3] de peur qu'elles ne m'inspirent de coupables divagations cérébrales! Je roule dans ma tête des pensées ténébreuses & je prends la fuite quand je vois un médecin.
Dans ces conditions tu conçois que je ne touche plus guère à "mon enfant"[4] comme tu dis: il est né viable, mais est encore très mal léché, comme un jeune ours! Au commencement de février j'ai appor[té] sous la dernière ligne le glorieux mot FIN. Puis j'ai donné une grande lecture à Gust, qui s'est déclaré satisfait de certains passages & m'a conseillé de remanier & de supprimer bien des choses.[5] Depuis je n'ai eu ni le temps, ni la force de pratiquer ce travail de... bûcheron. J'ai trop de choses dans la tête & pas le
[2]
loisir de les exprimer. Je n'ai pas moins de 5 projets de roman jetés sur le papier, sans parler des nouvelles, poèmes en vers & en prose, etc!!
Devant cette accumulation de besogne, je m'étends & dors.
Tout ceci me fait oublier le point principal de ma lettre: mon incursion à Anvers[6] n'est que partie remise, je serais très heureux de causer avec toi quelques heures: je m'arrangerai avec Gust à ce sujet, puisqu'il est toujours en correspondance suivie avec toi! Je viendrai peut[-]être au Volksfeind, à moins que cette représentation[-]là aussi ne soit remise?![7]
Comment vont tes propres oeuvres littéraires? Et la Vlaamsche School? J'y ai lu l'article de Gust sur Meunier;[8] c'est très bon. Il a l'intention de corser son compte rendu des XX.[9] Est-ce que Max Rooses et Buschmann ne reculeront pas d'horreur?[10] La lutte des éléments jeunes contre les parvenus de la littérature est ardente partout & son issue n'est pas douteuse.
A propos du Canard sauvage[11] il y a eu ici une bien réjouissante éjaculation d'articles bêtes: ce que les princes de la critique ont pataugé! & ce que la grosse majorité du public a été ahuri par la pièce, tu peux le concevoir. Allons! il y aura encore des jours réjouissants -- les jours où l'on prend le parti de rien de toute la bêtise ambiante!
Sur ce, au revoir, mon cher Mane. Et à bientôt, j'espère.
Bien cordialement à toi,
Jacques
P[ost Scriptum] Rectification pour rectification: Ce n'est pas rue de l'abbaye 61 mais 65 que je demeure.
J[acques ]D[welshauvers]
Annotations
[1] Jacques Dwelshauvers studeerde op dat ogenblik natuurwetenschappen aan de ULB (Zie het Répertoire contenant par ordre alphabétique, les nom de tous les élèves qui ont été portés aux rôles des inscriptions de l'Université Libre de Bruxelles pendant la seconde période trentenaire 1864/1865 - 1893/1894).
[2] Het stuk Karel van Gelderland van Frans Gittens met muziek van Peter Benoit, dat in de Nederlandsche Schouwburg van Antwerpen zou opgevoerd worden. Zie ook brief 67, noot 1.
[3] Dwelshauvers bedoelt het volgende werk: Jules Barbey d'Aurevilly, Les diaboliques (Paris, E. Dentu, 1891), met sterkwateretsen van Félicien Rops. Er komen er 8 in voor: 2 met titel: 'La Femme et la Folie dominant le monde' en 'Le rideau Cramoisi' tussen de pagina's 6 en 7; 'Le plus bel amour de don Juan' (tussen 80 en 81); 'Le bonheur dans le crime' (tussen 250 en 251) en 'La vengeance d'une femme' (tussen 336 en 337). De laatste zes dragen dezelfde titel als de opgenomen teksten.
[6] Jacques Dwelshauvers had aan Emmanuel de Bom beloofd om met August Vermeylen naar Antwerpen te komen om samen naar de schouwburg te gaan. Zie brief 67, noot 1.
[7] Een vijand des volks werd niet opgevoerd. Zie brief 3, noot 4.
[8] August Vermeylen, 'Constantin Meunier', in: De Vlaamsche School, nr. V (1892), p. 39-43.
[9] Dwelshauvers bedoelt: August Vermeylen, 'De XX te Brussel', in: De Vlaamsche School, nr. V (1892), p. 73-75. Dit artikel werd in het tijdschrift gedateerd op 4 mei. Het is tezelfdertijd een repliek op een negatieve kritiek, over de tentoonstelling (zie [10]).
[10] Vermeylen zal aan Jacques Dwelshauvers zijn vrees uitgesproken hebben dat Rooses of Buschmann zouden snoeien in zijn artikel over de XX. Zie ook brief 35, noot 7 en brief 85, noot 8 en noot 9.
[11] De groep van het Théâtre libre d'Antoine gaf in Brussel een reeks voorstellingen. Zie brief 58, noot 3.
