Bruxelles — Jeudi 14 janvier 1892.
Mon cher Mane,
Nous te remercions vivement, mon frère et moi, de l'amabilité que tu as eue de nous envoyer ton étude de la Vlaamsche School.[1]
Je l'ai lue avec beaucoup d'intérêt — & avec la joie aussi de constater que le mouvement jeune s'accentue partout dans notre pays en peinture comme en littérature.
Tu as raison de défendre avec une ardeur jeune la probité, l'indépendance, l'originalité, l'intransigeance même de l'Art: il faut que les personnalités s'affirment & que les médiocres n'encombrent point la route: car rien n'est aussi insupportable que la médiocrité, surtout dans l'Art.
Je me suis assez bien occupé de peinture dans ces derniers temps, et réellement le mouvement jeune semble plein de vitalité: de nouvelles voies de recherches s'ouvrent chaque jour, on pioche, on tâche de faire nouveau: beaucoup sombreront assurément parmi cette multitude de peintres qui exposent aujourd'hui. Mais plus d'un restera célèbre. Les expositions abondent ici: nous avons eu dans les derniers temps les aquarellistes,[2] puis l'exposition des oeuvres de Meunier[3] (superbe, celle-là), celle de de Braekeleer,[4] enfin l'exposition du Voorwaarts,[5] encore un jeune cercle!
Ce matin précisément j'ai visité cette dernière qui à vrai dire contient peu d'oeuvres marquantes: mais, malgré cette relative infériorité, quelque chose frappe: la lumière qui se dégage de toutes ces toiles: l'air circule, le soleil darde dru, les ombres se violacent; il y a une surabondance de rayons, une effervescence de clarté qui contraste vivement avec les
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lourds bitumes des peintres antérieurs. Aujourd'hui l'on aime la lumière pour la lumière! L'on cherche le reflet curieux, le jeu de rayons étrange! Nos artistes sont les dilettanti de la lumière! Ils aiment la lumière, comme les artistes de la Renaissance aimaient les beaux mouvements de muscles, les corps aux solides charpentes, les vigoureuses anatomies!
Sous peu, je pense, s'ouvrira l'exposition des XX:[6] tu vois que l'on ne chôme guère à Bruxelles.
— Est-ce que le "Volksfeind" passera décidément au commencement de février? Ne nous oublie pas pour cette représentation à laquelle nous tenons beaucoup à assister:[7] avertis[-]nous s'il y a quelque changement de date. Nous serons ce soir[-]là à Anvers mon frère & moi & nous comptons causer quelques heures avec toi.
J'espère que tu ne te trouves plus si seul à Anvers que tu me le disais en octobre: il me semble par ton article même que la vie artistique s'y développe avec quelque vigueur. Puis la Vlaamsche School me semble, sous le rapport matériel, une fort belle revue, & si vous lui donnez une impulsion jeune — c'était votre intention me disait l'autre jour Gust — vous pourriez là vous faire connaître largement & répandre les idées nouvelles.[8]
Travailles-tu à "ton roman"?[9] Moi, je suis sur le point de terminer le mien;[10] & je ne suis pas satisfait du tout de la besogne accomplie: quelle différence toujours entre l'oeuvre qu'on a rêvée & celle qu'on réalise! Pour le moment je n'ai plus guère le temps de m'occuper de littérature: j'ai un examen en vue, un long examen![10] Et cela m'ennuie d'autant plus que j'ai deux grandes oeuvres en tête!! deux! aussi considérables que celle que je termine! Et je me dis d'avance que ce sera "superbe"! On ne risque rien de le proclamer quand on n'a pas encore écrit la première ligne!
Sur ce, bonsoir, mon cher Mane, & encore une fois tous mes remerciements & toutes mes félicitations pour ton étude critique.
Bien à toi,
Jacques Dwelshauvers
Annotations
[1] Emmanuel de Bom, 'XXVe tentoonstelling Als Ik Kan', in: De Vlaamsche School, nr. V (1892), p. 1-13.
[2] Het 32ste salon van de 'Société royale belge des aquarellistes' liep te Brussel in het Moderne Museum (Museumplein) van 21 november 1891 tot en met 4 januari 1892. Zie La Chronique, XXIV (20 nov. 1891) en XXV (04 jan. 1892).
[3] De tentoonstelling van de werken van Meunier vond plaats te Brussel, in de Galerie Moderne (Koninklijke Straat 180), van 2 tot en met 27 december 1891. Zie La Chronique, XXIV (02 dec. 1891) en XXIV, (26-27 dec. 1891).
[4] De tentoonstelling was te zien in de 'Cercle Artistique et Littéraire de Bruxelles' en liep van 30 december 1891 tot 17 januari 1892. Er werden 51 werken tentoongesteld, waarvan er 38 reeds te zien waren op de expositie in de 'Cercle Artistique, Littéraire et Scientifique d'Anvers' (6 tot 20 december 1891). Daar waren 53 werken bijeengebracht. Zie Ernest Verlant, 'Henri de Braekeleer', in: La Jeune Belgique, XI (1892), p. 107.
[5] Het vijfde jaarlijks salon van de kring Voorwaarts liep in het Modern Museum te Brussel van 6 tot 31 januari 1892. Zie La Chronique, XXV (6 en 27 dec. 1892).
[6] De tentoonstelling liep in het Museum voor Moderne Kunst te Brussel van 6 februari tot 6 maart 1892. Zie L' Art Moderne, XII, 5 (31 jan. 1892), p. 39 en L'Art Moderne, XII, 10 (06 maart 1892), p. 79.
[7] Over Een vijand des volks, zie brief 3, noot 4. August Vermeylen had reeds aan Emmanuel de Bom gevraagd om gratis kaarten voor Jacques en Georges Dwelshauvers vast te krijgen (zie brief 4).
[8] Over de plannen van August Vermeylen en Emmanuel de Bom om aan De Vlaamsche School een nieuwe richting te geven, zie ook brief 4, noot 1bis.
[9] Emmanuel de Bom was op dat ogenblik bezig met het herwerken van zijn Roman van den Does. Zie ook brief 164 (1891), noot 2 en brief 169 (1891), noot 2.
[20] La vie impossible. Begin februari is het werk in een eerste versie gereed en leest Jacques Dwelshauvers het in twee keer voor aan Vermeylen. Zie brief 35 en brief 37, waar Vermeylen een kort commentaar en een beschrijving van de inhoud geeft. Het werk wordt nog herhaaldelijk genoemd in de brieven uit 1892. Er verscheen alleen een fragment van deze roman. Zie Jacques Mesnil, 'Fragment de La vie impossible', in: Almanach des étudiants 1891 (Bruxelles, Aux Bureaux de la Revue Belge Illustrée (1891), p. 41-43.
[10] Het is niet duidelijk welk examen Dwelshauvers bedoelt. De tweede zittijd van het academiejaar 1891-1892 werd in de faculteit van geneeskunde geopend op 1 maart 1892. Zie La Chronique van 27 jan. 1892.
