ANVERS (STATION)
18 MAI 1891 9-S
CALMPTHOUT
19 MAI 1891 11-S
Monsieur Henry vandevelde
Chez Monsieur Léon Biart
Calmpthout
D'anvers le 18 Mai 1891
Cher,
Je savais que tu allais m'écrire, il nous arrive des choses étranges trop souvent à présent; serions Tout Près?
[1] — Tu ne te tromperas plus désormais, pas plus que moi; si tu me vois quelquefois près de toi c'est que j'y suis en réalité; de toi pour moi de même.
N'oublie point ta nuit de Vendredi à Jeudi, pour moi j'ai cru bien véritablement entre 2 1/2 et 3 h, au jour levant, que c'était fini; alors tu es venu, vous êtes venus tous les deux en pleurant, me demander pardon ou que je vous pardonne; pourquoi c'est ce que je ne puis comprendre et fatalement je vous ai pardonné sans savoir pour quoi il fallait que je vous pardonnasse. Il y avait une petite fleur bleue mauve avec des veines rosées entre vous et dont vous paraissiez souffrir; je me rappelle qu'elle était sans odeur. — Ceci, textuel, est sans sens pour moi; est[-]ce un rêve de malade et pourquoi êtes[-]vous venus. La fleur ressemble à celle de l'hortie mais était violette.
Le soleil me fait un mal atroce et ces temps couverts me font du bien. Si je ne suis point venu à Calmpthout[,] c'est que je n'ai pas pu, cher; j'ai une frayeur atroce de n'être point chez moi, et crois le bien je voudrais venir ne fut-ce que pour prouver que je puis. —
Quant à l'angoisse que tu éprouves sur ce mariage bizarre épars
[2]
en ton songe, rassure-toi, elle est fausse; ma vie est littéralement vide d'amour, pour en avoir été trop pleine.
Ecoute c'est Mallarmé qui me dit:
[2] "Depuis que Maria m'a quitté pour aller dans une autre planète... je voulus rester seul" — Pour cette coté là donc c'est le fini irrévocable sans transmigration possible d'ailleurs. —
Tu ne me parles pas de ton travail; travailles-tu ou comme moi omnium consommatum est... Qu'importe puisque tout est rêve et cela seulement vrai, et pourquoi ne seraient-ils pas tangibles les palais édifiés là-bas.—
J'ai dans les yeux des maisons de feu où il faut que j'habite, et hélas, des pornographies qui viennent me prendre la nuit et me chassent brisé aux coins [[xxxxx]] de mon lit. — Entre les saletés qui me hantent et la réalité il n'y a plus qu'une réalisation à venir. — Si je dois verser dans la folie, ce qui à certains moments me fait une peur atroce, je serai immonde, et toi alors que penseras-tu? Le calme ne reviendra plus je le crains et j'ai peur de moi-même affreusement car je ne suis plus toujours mon maître et je vais Dieu sait vers quelles fins! —
Souvenons
[-]nous dans nos prières de Bouvard et Pécuchet.
[3]