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VENEZIA 3 4 93 []S
BRUXELLES 1 4 AVRIL 1893 9-S
Monsieur Gust Vermeylen,
81 Rue Pachéco
Bruxelles.
Belgio
 
[1]
Cher Gust,
J'ai reçu ici ta lettre, grâce à ce bon zig d'Alfred qui me l'a envoyée de Bologne, & je m'en suis moult réjoui. Je pourrai lire le Van Nu en Straks à mon retour à Bologne: je suppose qu'il y est arrivé quoique Walravens ne m'en dise rien. Je suis bien content que mon Ier chapitre de la Vie imp[ossible] soit décidément sur ses pattes & ne demande plus guère que quelques retouches de détails. Tes observations me paraissent justes & j'en tiendrai bonne note. Il est vrai que pour ce qui est de la troisième (les phrases accumulées) j'aurais difficile à changer: cela entre quasi dans le fonctionnement de la pensée.
— Et maintenant, parlons de Venise comme tu me le demandes. C'est une étonnante et paradoxale ville, cette ville posée au milieu de l'eau où les rues sont des canaux & les fiacres des gondoles, où l'on n'entend pas un roulement de voiture, où l'on ne voit pas un cheval. Toutes nos habitudes sont renversées du coup. On trouve en arrivant un large canal, le Canal Grande, tout bordé de palais dont les escaliers viennent baigner dans l'eau; des bateaux à vapeur passent continuellement, & la flottille noire des gondoles s'agite, fourmille, glisse sur les eaux. Elles sont vraiment d'une forme très élégante ces gondoles avec leur proue au bec de fer, leur forme pointue, leur avant se relevant au-dessus de l'eau, leur cabine qui leur donne un vague air de cercueil; à la poupe le gondolier est debout maniant une seule rame, ramant en projetant le corps en avant, puis le ramenant en [2] faisant décrire à sa rame un quart de cercle. Ces gondoliers sont d'une adresse étonnante: il faut les voir quand il pénètrent dans les canaux étroits qui ondulent & forment des angles violents, il faut les voir raser les murs, croiser d'autres gondoles qui glissent aussi silencieusement sur les eaux mortes. Certains de ces canaux ressemblent en quelque chose aux canaux brugeois: ils sont moins morts seulement: la marée s'y fait sentir, les barques s'y meuvent, & il y a une lumière plus intense en dépit des hautes maisons grises qui les enserrent.
Presque tous les palais sont réunis le long du Canal grande: il y en a de tous les âges: le gothique s'y est modifié, l'ogive a pris quelque chose d'oriental, semble s'être combinée avec le plein cintre pour donner une ligne ondulée à deux courbes, concave & convexe. Autre part la Renaissance étale ses fastueuses colonnes et la fausse antiquité de ses formes. Mais ce n'est peut-être pas là le plus curieux, & c'est le plus connu en tous cas. Ce sont les rues de Venise qui sont surtout inattendues. On ne peut se figurer un pareil dédale de ruelles enchevêtrées: elles ont deux mètres de large, même les plus grandes, elles tournent, forment des coudes, changent à tout moment de direction, franchissent sur des ponts d'une seule arche les canaux; elles se compliquent d'impasses, de culs-de-sac, de cours; souvent les maisons se touchent du haut; elles ont quatre ou cinq étages; les rez de chaussée sont bas, les façades grises & sales; on se demande comment il est possible d'habiter certaines de ces maisons. On marche sur des dalles, comme en Toscane; certaines de ces rues — la Merceria p[ar exemple] — sont énormément fréquentées; on y avance avec peine tant la foule est dense à presque toutes les heures du jour. C'est d'un bout à l'autre bondé de magasins, de restaurants, etc. Les corsets, les bas vous pendent au-dessus de la tête; des verdurières laissant déborder leur boutique dans la rue....... et à la plupart des vitrines brillent les plus "edisonnesques" des lampes à incandescence! Les Vénitiennes sont de belles filles, aux airs voluptueux, moins grandes, moins violentes que les Bolonaises, moins noires de cheveux en général, d'une carnation plus vermeille, avec de belles nuques ambrées — & en somme bien de la race des Vénitiennes du Véronèse. A mon grand étonnement j'ai constaté que ce type de femme était loin d'être perdu, comme l'est celui des flamandes de Rubens. Il est vrai que la situation de Venise a été autre, [3] qu'elle est toujours restée plus ou moins à part par sa situation même.
Pour vraiment jouir d'un voyage à Venise il faudrait y être invité par quelque noble ou quelque richard possédant un de ces magnifiques palais du Canal grande et errer en gondole, avec un gondolier à soi, uniquement consacré à votre service. Mais alors même on serait ennuyé, choqué par la présence des étrangers, par les absurdes anglaises aux dents de cheval, ces porte-manteaux mal vêtues, toujours nanties du banal Baedeker comme les putains de leur carte. Tous nos pauvres costumes, toutes nos noires livrées jurent atrocement dans ce milieu. Puis les mille petits embêtements du voyage, les désagréments d'une existence d'une cherté exorbitante, toute cette exploitation de l'étranger exercée partout, par les vieux fainéants qui tiennent les gondoles quand vous abordez, par les enfants qui vous poursuivent en tendant la main, par les insupportables Ciceroni, par les hôteliers qui vous écorchent — tout cela empêche ce recueillement contemplatif qui plus que partout ailleurs serait indispensable ici.
Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est la lumière: j'ai fait en bateau à vapeur une grande excursion jusqu'au bout de la lagune de Chioggia (5 lieues de Venise). Le ciel était d'un bleu, non pas cru et violent comme en d'autres villes d'Italie, mais d'un bleu adouci par les vapeurs montant des eaux, d'un bleu soyeux. A l'horizon flottait un brouillard rosé et le bleu et le rose se reflétaient dans les eaux, formant par leur combinaison de pâles violets. La terre n'apparaît plus que lointaine, comme un simple très vague trait d'estampe; quelques îlots s'aperçoivent exactement répétés dans ce tremblant & clair miroir d'eaux; on se croirait en pleine mer — mais une mer féerique, une mer orientale où l'on glisserait sur de la lumière. Quelques heures plus tard ciel, eaux, tout était bleu, si bien que par moment on eût pu confondre les unes avec l'autre, car l'eau était aussi rayonnante que le ciel. — Quand le vent est venu former de petits flots les bleus se sont accentués, des verts se sont trahis d'une extraordinaire couleur de jade liquide. L'on apercevait la courte chaîne des monts Euganéens, et vers le nord les profils perdus des Alpes, des montagnes neigeuses qui semblaient de fins nuages blancs immobiles.
[4]
— Alors on se met à réfléchir & à se demander pourquoi ce n'est pas cela que les peintres vénitiens ont vu, pourquoi étant donné un pareil "plein air" ils se sont confinés dans les effets de clair[-]obscur & n'ont jamais vu que des étoffes & des femmes & des cortèges — & rien de la nature.
— Mais je te parlerai la prochaine fois de la peinture vénitienne, laquelle a été pour moi un désenchantement. Je te donnerai aussi une foule de détails & d'impressions sur Venise: le temps me manque pour le moment. Ma prochaine lettre je te l'écrirerai probablement de Bologne. Je pars d'ici après-demain (mardi) au matin. De là j'irai à Vérone, puis au lac de Côme & à Bellagio où je quitterai mon père & mon frère qui s'en reviendront par le lac de Lugano et le lac Majeur. Moi je reprendrai par Lecco & Milan & je m'arrêterai quelques heures à Parme. Tel est le projet.
— A propos des "décadents italiens" je chercherai. J'ai lu de temps à autre la Tavola rotonda sans y rien trouver de bien intéressant.
Sur ce, cher frère, je te serre très cordialement les deux pattes.
Ton Giacomo

Annotations

[1] Zondag 2 april 1893.

Register

Naam - persoon

Dwelshauvers, (alfred Auguste) Ernest (° Dinant, 1834-02-10 - ✝ Elsene, 1914-04-24)

Stadssecretaris van Brussel.

Echtgenoot van Maria Hortense Altmeyer, en vader van Jean Jacques en Georges Dwelshauvers.

Dwelshauvers, Georges (° Brussel, 1866-09-06 - ✝ Parijs ?/?/, 1937)

Filosoof.

Broer van Jacques Dwelshauvers. Studeerde aan de ULB. Verbleef lange tijd in Duitsland waar hij leerling was van W. Wundt (deed o.m. filosofie aan de universiteit van Heidelberg van april 1891 tot het eind van het zomersemester). Werd in 1892 te Brussel speciaal doctor in de wijsbegeerte met zijn thesis Les principes de l'idéalisme scientifique, nadat een eerste proefschrift Psychologie de l'apperception et recherches expérimentales sur l'attention. Essai de psychologie physiologique. gebaseerd op zijn onderzoekingen in het laboratorium voor experimentele psychologie van W. Wundt, op principiële gronden was geweigerd. Was achtereenvolgens hoogleraar aan de ULB (1893-1918), aan de Catalaanse Universiteit te Barcelona (1918-?) en aan het Institut Catholique te Parijs (vanaf 1925). Publiceerde studies over J. Lagneau, H. Bergson en F. Nietzsche. Interesseerde zich ook voor het toneel wat zich uitte in studies over H. Ibsen, een vertaling van Goethes Iphigenies (1903) en een bewerking van Lessings Nathan der Weise (opgevoerd in het Théâtre du Parc te Brussel, 1904); schreef zelf ook een drama Ino (1913), geïnspireerd op Oedipus koning van Sophocles.

Dwelshauvers, (Jean) Jacques (° Brussel, 1872-07-09 - ✝ Montmaur-en-Diois (Drôme), 1940-11-14)

Kunsthistoricus en militant anarchist.

Broer van Georges Dwelshauvers en gezel van Clara Köttlitz, met wie hij in 1897 een vrij huwelijk aanging. Deed beloftevolle studies aan het Koninklijk Atheneum Brussel (afd. Latijn-Grieks), waar hij A.Vermeylen leerde kennen. Studeerde 1890-92 natuurwetenschappen aan de ULB (diploma van kandidaat in juli 1892). Met een beurs van de Jacobsstichting vatte hij in oktober 1892 studies in de medicijnen aan te Bologna, samen met de latere geneesheren Herman Köttlitz en Alfred Walravens. Hij verliet Bologna in 1897, zonder de hele cyclus te hebben beëindigd.

In hetzelfde jaar begonnen de eerste strubbelingen met Gust Vermeylen, i.v.m. diens huwelijk met Gaby Brouhon en de strekking en inhoud van Van Nu en Straks. Het jaar daarop maakte hij een nieuwe reis naar Bologna en Bergamo. In het voorjaar van 1899 trok hij met Clara naar Firenze, waar hij zich voortaan geheel aan kunsthistorisch onderzoek wijdde, geboeid door de figuur van Botticelli en de kuituur van het Quattrocento. Hij zou in Firenze ook nog de toelating hebben gevraagd zich voor de eindexamens geneeskunde aan te bieden, maar legde die nooit af. Zijn verblijf in en om Firenze (afwisselend te Calamecca en te Castello), dat tot 1906 duurde, werd regelmatig onderbroken voor reizen naar het thuisland, en naar Parijs.

In 1899 werd te Antwerpen trouwens zijn zoon Lorenzo (Jean-Jacques Erasme Laurent) geboren (op de akte tekende o.m. Emmanuel de Bom als getuige), en het gezin was er officieel ingeschreven aan de Montebellostraat 3 tot 1906. In dat jaar, verhuisden zij naar Colombes bij Parijs (Boulevard Gambetta 46, niet-geregistreerde verblijfplaats). Dwelshauvers, die zich intussen Mesnil noemde (naar twee dorpjes bij Dinant, de geboortestad van zijn vaders familie), onderhield er nauwe contacten met de anarchistische en internationalistische beweging. Hij verdiende de kost met het schrijven van reisgidsen, eerst bij Hachette (o.a. de Guide Joanne - na W.O.I Guide Bleu - over Noord-Italië), nadien bij Baedeker.

Tussen 1910 en 1914 vestigde het gezin Mesnil zich te Alfort bij Parijs, waar - gezien zijn moeilijkheden met de geheime politie - evenmin een officiële inschrijving werd genoteerd. Jacques Mesnil stierf in niet opgehelderde omstandigheden te Montmaur, waar zijn zoon toen zou hebben gewoond; hij leed toen al enkele jaren aan een hart- en nierziekte waarvoor hij o.m. door dokter Schamelhout werd behandeld. Behalve aan Van Nu en Straks werkte hij nog mee aan Mercure de France, La société nouvelle, Ontwaking, Onze kunst, Revista d'Arte, Gazette des beaux arts, Burlington Magazine, de Parijse krant L'Humanité en het Italiaanse Avanti. Een bibliografie kan men terugvinden in de geciteerde bronnen.

Vermeylen, August. (° Brussel, 1872-05-12 - ✝ Ukkel, 1945-01-10)

Hoogleraar, kunsthistoricus en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Gabrielle Josephine Pauline Brouhon op 21/09/1897.

Walravens, Alfred (° Tubize, 1872-11-15 - °)

Geneesheer.

Leerling aan het Brusselse atheneum met o.a. Vermeylen, De Raet, Dwelshauvers en Legros. Studiegenoot van J.Dwelshauvers, H.Koetlitz en A.Vermeylen aan de ULB. Verbleef van 1892 tot 1896 in Bologna met een Jacobsbeurs.

Titel - krant/tijdschrift

Tavola Rotonda

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Voorlopig niet teruggevonden.