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BAR[VAUX] [5 AOUT] 1893
Monsieur Gust Vermeylen
81 Rue Pachéco 80
Bruxelles
BRUXELL[ES 1] 5 AOUT 189[3] 9-S
 
[1]
Merci de m'avoir écrit, mon cher Gust, j'étais tourmenté de t'avoir depuis si longtemps donné le droit de m'oublier, et je ne savais pas me décider à t'écrire; tu sais qu'on juge les autres d'après soi, et, en coeur incapable d'amitié je ne pensais pas que tu me pardonnerais une seconde fois d'avoir cessé depuis tant de mois de te tenir au courant de ce que je devenais.[2]
J'avais l'intention de recourir, comme je l'ai déjà fait, à Jacques pour le charger de t'interviewer et de savoir si tu pratiquais l'oubli — non de l'oubli, mais de la négligence.
Vois[-]tu mon vieux, j'ai pensé bien des fois à t'écrire, mais au moment de m'y mettre, je ne savais vraiment que te raconter; je remettais ma lettre à "après le prochain sinistre" — et ainsi le temps passait, je ne savais plus si tu ne m'en voulais pas et je remettais encore.
Ne plaindrais[-]tu pas du fond du coeur celui qui saurait le soir te dire ce qu'on lui a servi à dîner, ou qui garderait un coeur ulcéré pendant huit jours d'avoir dû chercher le matin son bouton de col sous tous les meubles?..... Compte combien on fait de choses moins importantes encore en un jour! Il y a tant de petites niaiseries journalières qu'on se dit quand on va bras dessus bras dessous, et qu'on n'écrirait pas! Ce sont pourtant elles qui font l'intimité.
On est intime parce qu'on aura suivi ensemble la même femme, parce qu'on aura déchiré sa culotte au même clou d'un banc de collège. Mais crois[-]moi, my old, l'amitié est autre-chose qu'un simple [2] coudoiement intellectuel; vous trois, toi, Jacques et Alfred je vous aime pour d'autres raisons que d'avoir été en même temps que moi des potaches vicieux; je vous aime parce que parmi toute la populace universitaire vous êtes les trois seuls chez qui j'ai trouvé un coeur battant pour autre chose que des platitudes et un cerveau commandant à autre chose qu'à des organes des sens. Qu'importent donc entre nous les infiniments petits du au jour le jour, les gestes qu'on fait, les paroles qu'on dit et qui sont aussi peu nous que tel habit ou tel jeu de mot?
Trop heureux qui le soir venu, repassant sa journée pourrait te dire "J'ai lu tel livre, j'ai reconnu la fausseté de telle idée, j'ai découvert en mon coeur tel sentiment" et qui aurait oublié quels instincts il a satisfaits, quelles gens il a saluées, et combien de cigares il a fumés.
C'est à cela que je m'excerce, à vivre partout en étranger, mais je dois avouer que ce n'est pas facile de faire de ses actions le denier à César qu'on paie parce qu'il le faut bien et qu'on oublie ensuite sans reçu.
Que dire dans mes lettres? mon système de voyages quotidiens exclut de mes journées tout imprévu, fait que je sais toujours à huit jours de distance à quoi j'emploierai telle heure, telle minute, — et l'emploi que j'ai fait de mon année est tel que je serais absolument aussi avancé si j'avais dormi depuis Octobre, à moins que tu ne veuilles compter comme des bénéfices les quelques centaines de pages d'anatomie, de Physiologie etc que je me suis injectées dans le cerveau. (Si cependant: j'ai fait — ne ris pas — assez bien d'anatomie comparée, & de philosophie biologique, et cela je le compte comme de l'acquis, parce que je sens que c'est là un ordre d'idée qui me pénètre et ne glisse pas simplement à ma surface comme mes autres cours.)
Tu le vois, tu n'as rien perdu à ne pas suivre pas à pas ton écureuil d'ami dans sa cage tournante; toute mon année je résume en quelques lignes:
Jusqu'à Pâques, cours toute la matinée, amphithéâtre tous les après[-]midi: partir de Barvaux à cinq heures du matin, y rentrer exténué et abruti (oh! l'amphithéâtre-obsession!) à sept heures du soir, souper en causant physiologie, puis deux [3] heures pour revoir mes cours de la journée.
A Pâques est venue la bloque, c'est à dire l'examen obsession, traversée de quelques lueurs d'envie de respirer enfin de l'air libre ...... et enfin j'ai abouti à me prouver que je n'étais pas suffisamment prêt, et me suis ajourné à Octobre, renonçant à employer mes vacances comme je l'avais projeté à penser et à sentir double.
De sorte que je me suis remis la semaine dernière à tourner la meule, et que je t'écris sur une table où sont étalés des ossements et un bouquin aussi rébarbatif que volumineux.
Cependant, ça me vaguère, la paresse pendant les vacances est une seconde nature et puis -- et puis je suis saturé; pendant toute l'année tout en m'hypnotisant sur mes livres, je me disais "autant faire cela qu'autre chose" mais maintenant je me dis "autant autre chose que ça". As[-]tu remarqué combien les rivières sont belles le soir? surtout quand il y a dedans des reflets d'arbres ....... je me le dis de plus en plus en manipulant mes tibias et mes péronés.
De plus, une vieille histoire revient sur l'eau et me persécute; tu as su l'an dernier la manière dont a sombré ma vieille idylle .... je la croyais bien morte, et je n'y pensais plus que pour me réciter le
firmer hearts than ours
have found monotony in love

mais il paraît que "firmer hearts than mine["] peuvent seuls trouver l'oubli d'un amour qui synthétise toutes mes aspirations et tous mes rêves de jeunesse; j'ai revu il y a quinze jours M., qui, paraît-il, a l'intention de se marier, et depuis quinze jours cette rencontre m'a fait passer dans le coeur un océan de souvenirs, et m'a fait me départir de cette belle indifférence qui je le constate amèrement n'était qu'une sérénité de brute. S'il était vrai que le travail est le grand guérisseur! mais j'ai constaté souvent qu'il n'est qu'un passe[-]temps à l'usage des gens à "mens sana in corpore sano" et qu'il n'y a rien de tel qu'un ennui un peu fort pour rendre incapable de travail.
De sorte que je passe mes journées à ne rien faire de sérieux[,] je suis devant mes cahiers et bien loin en même temps; si mon professeur Mr Julin, avec qui je travaille était encore à Liège, j'irais m'enfouir [4] pendant quelques journées à son laboratoire, nous causerions sélections et transformisme, nous retomberions dans nos intarissables disputes sur "l'évolution preuve en faveur des causes finales" et je sortirais de là retrempé et "réintellectualisé"; malheureusement il est en vacances, et le laboratoire dort de tout le sommeil de ses collections de squelettes. Pas moyen d'oublier de m'ennuyer.
Je n'irai pas à Bruxelles cet été, n'oublie pas que je suis un étudiant sérieux qui ai dans deux mois un examen à passer; j'aurais pourtant bien violemment désiré aller causer avec vous.
Mais nous aurions eu quelques heures à passer ensemble et nous nous serions quittés sans seulement avoir refait connaissance; je l'ai bien vu dernièrement; quand Alfred est revenu de Bologne, il s'est arrêté à Liège pendant une matinée que nous avons passée ensemble; j'étais vraiment heureux de le revoir, et quoique nous ayons bavardé sans interruption de huit heures à midi, je me suis demandé après ce que nous avions dit; il faudrait se revoir pendant un mois pour reprendre la vie commune d'autrefois.
Mais si l'intimité ne nous est plus possible, l'amitié nous reste, et la distance ne peut pas la gêner; vous êtes sans doute tels que je vous ai connus et je vous en félicite et vous en aime d'autant plus. Quant à moi ce que je suis devenu, je n'en sais rien[,] je me suis trop étranger pour me connaître, et n'ai pas le calme ni le loisir de me recueillir.
Je parle décidément trop de moi, et j'oublie combien peu intéressant je suis au fond, tandis que vous autres vous devez être bourrés d'idées et de sensations.
Ecris[-]moi, mon cher Gust, écris[-]moi longuement, plus longuement que je ne le fais, tu sais que tes lettres seront aussi bienvenues que ta dernière petite épître, dont les injures m'ont fait tant de plaisir.
Dis[-]moi donc ce que tu fais?
D'abord? en as[-]tu fini avec le premier doctorat? as[-]tu passé ton examen? comptes[-]tu être débarassé de la vie universitaire l'an prochain? et ta thèse? j'espère que tu vas produire quelque chose d'un peu plus digne que les plates stupidités qui sont décorées de ce nom[-]là à Liège? Jacques me disait tout au commencement de l'année que tu y travaillais déjà activement, mais il ne m'en [5] disait pas le sujet.
Et en dehors des cours? que fais[-]tu? travailles[-]tu? ou plutôt non, je sais que tu t'occupes, je dois changer ma phrase et dire "à quoi travailles[-]tu?" philosophie? art? écris[-]moi donc s'il te plaît, je désirerais bien être remis au courant de votre vie à Br[uxelles] quand ce ne serait que pour me faire rougir plus des oeillères qui m'empêchent de voir autre chose que droit devant moi.
J'espère recevoir bientôt une lettre, mon cher Gust; ton billet de l'autre jour avait l'air d'une préface où l'on salue le lecteur, et j'attends le premier chapitre, en te remerciant du fond du coeur d'avoir mis fin à cette situation ridicule où m'avait mis à ton égard ma gaucherie et ma bêtise.
Fais mes amitiés aux autres quand tu les reverras, et reçois une cordiale poignée de main de ton vieil ami.
Robert

Annotations

[1] Zaterdag 5 augustus.
[2] Vorige (bekende) brief van Legros dateert van 29 dec. 1892. Zie brief 235bis (1892).

Register

Naam - persoon

Dwelshauvers, (Jean) Jacques (° Brussel, 1872-07-09 - ✝ Montmaur-en-Diois (Drôme), 1940-11-14)

Kunsthistoricus en militant anarchist.

Broer van Georges Dwelshauvers en gezel van Clara Köttlitz, met wie hij in 1897 een vrij huwelijk aanging. Deed beloftevolle studies aan het Koninklijk Atheneum Brussel (afd. Latijn-Grieks), waar hij A.Vermeylen leerde kennen. Studeerde 1890-92 natuurwetenschappen aan de ULB (diploma van kandidaat in juli 1892). Met een beurs van de Jacobsstichting vatte hij in oktober 1892 studies in de medicijnen aan te Bologna, samen met de latere geneesheren Herman Köttlitz en Alfred Walravens. Hij verliet Bologna in 1897, zonder de hele cyclus te hebben beëindigd.

In hetzelfde jaar begonnen de eerste strubbelingen met Gust Vermeylen, i.v.m. diens huwelijk met Gaby Brouhon en de strekking en inhoud van Van Nu en Straks. Het jaar daarop maakte hij een nieuwe reis naar Bologna en Bergamo. In het voorjaar van 1899 trok hij met Clara naar Firenze, waar hij zich voortaan geheel aan kunsthistorisch onderzoek wijdde, geboeid door de figuur van Botticelli en de kuituur van het Quattrocento. Hij zou in Firenze ook nog de toelating hebben gevraagd zich voor de eindexamens geneeskunde aan te bieden, maar legde die nooit af. Zijn verblijf in en om Firenze (afwisselend te Calamecca en te Castello), dat tot 1906 duurde, werd regelmatig onderbroken voor reizen naar het thuisland, en naar Parijs.

In 1899 werd te Antwerpen trouwens zijn zoon Lorenzo (Jean-Jacques Erasme Laurent) geboren (op de akte tekende o.m. Emmanuel de Bom als getuige), en het gezin was er officieel ingeschreven aan de Montebellostraat 3 tot 1906. In dat jaar, verhuisden zij naar Colombes bij Parijs (Boulevard Gambetta 46, niet-geregistreerde verblijfplaats). Dwelshauvers, die zich intussen Mesnil noemde (naar twee dorpjes bij Dinant, de geboortestad van zijn vaders familie), onderhield er nauwe contacten met de anarchistische en internationalistische beweging. Hij verdiende de kost met het schrijven van reisgidsen, eerst bij Hachette (o.a. de Guide Joanne - na W.O.I Guide Bleu - over Noord-Italië), nadien bij Baedeker.

Tussen 1910 en 1914 vestigde het gezin Mesnil zich te Alfort bij Parijs, waar - gezien zijn moeilijkheden met de geheime politie - evenmin een officiële inschrijving werd genoteerd. Jacques Mesnil stierf in niet opgehelderde omstandigheden te Montmaur, waar zijn zoon toen zou hebben gewoond; hij leed toen al enkele jaren aan een hart- en nierziekte waarvoor hij o.m. door dokter Schamelhout werd behandeld. Behalve aan Van Nu en Straks werkte hij nog mee aan Mercure de France, La société nouvelle, Ontwaking, Onze kunst, Revista d'Arte, Gazette des beaux arts, Burlington Magazine, de Parijse krant L'Humanité en het Italiaanse Avanti. Een bibliografie kan men terugvinden in de geciteerde bronnen.

Julin, Charles (° Lièges, 1857-12-17 - ✝ Chokier (thans Flémalle-Haute), 1930-02-05)

Geneesheer.

Was aan de faculteit geneeskunde van de UEL achtereenvolgens gastdocent ('chargé de cours') anatomie (31/12/1888), gastdocent histologie (08/12/1894), gewoon hoogleraar (30/09/1896), professor emeritus (17/12/1927).

Legros, René Robert (° Barvaux, 1872-11-05 - ✝ Barvaux, 1933-07-29)

Geneesheer.

Liep school op het Athénée Royal van Luik en, van de vierde Latijnse tot de retorica, op het Brusselse Atheneum, waar hij bevriend raakte met o.m. A.Vermeylen, J.Dwelshauvers en L.de Raet. Studeerde nadien geneeskunde aan de UEL (1890-1897). Publiceerde verzen in de Almanach des étudiants. Almanach de l'Université libre de Bruxelles (1891).

Vermeylen, August. (° Brussel, 1872-05-12 - ✝ Ukkel, 1945-01-10)

Hoogleraar, kunsthistoricus en schrijver. Medeoprichter van Van Nu en Straks. Gehuwd met Gabrielle Josephine Pauline Brouhon op 21/09/1897.

Walravens, Alfred (° Tubize, 1872-11-15 - °)

Geneesheer.

Leerling aan het Brusselse atheneum met o.a. Vermeylen, De Raet, Dwelshauvers en Legros. Studiegenoot van J.Dwelshauvers, H.Koetlitz en A.Vermeylen aan de ULB. Verbleef van 1892 tot 1896 in Bologna met een Jacobsbeurs.