Barvaux, 1:I, 9h. SoirJanvier 1892
Mon cher Gust.
Voilà, quinze jours que j'ai reçu ta dernière lettre,[1] et voilà enfin que je me décide à écrire; ne m'en veux pas, plains[-]moi.
D'abord, je proteste avec énergie contre toute participation de ma personne à la lettre anonyme que tu as reçue de Liège.[2]
En vérité, j'ai trouvé l'histoire de la Rue S[ain]t[ Laurent] abjecte, mais comme il s'agit d'étudiants ça ne m'a nullement étonné,... et nullement touché; je n'ai rien à voir avec ces gens[-]là. — Crois bien que je n'ai pas eu le moins du monde connaissance de la lettre en question. J'ai su du reste par Jacques[3] que tu l'écrirais du vin de succès pendant que les scènes "regrettables" avaient lieu, et si j'avais voulu commettre la plaisanterie de mauvais goût dont tu as été victime je ne t'aurais pas choisi comme cible. Mais zut, assez parlé d[e] choses d'étudiants: ça soulève le coeur.
Ta lettre m'apprenait d[e] mauvaises nouvelles; j'espère que la doulce Léo[4] s'est remise maintenant, et que ta prochaine lettre m'apprendra que vous avez recommencé l'idylle de l'an dernier; je n'ai jamais compris pourquoi elle avait fini; il est vrai que je suis bien provincial, et que Barvaux étant en retard de 80 ans sur l'évolution, je ne suis guère fin-de-siècle. Aussi ça m'a fait plaisir de lire dans ta lettre cette phrase[:] "Je crois que je commence sérieusement à l'aimer"... il y a longtemps que tu avais commencé mon pauvre vieux, mais on ne s'avance pas ces choses[-]là.
[2]
Et, puisque n[ou]s sommes au premier janvier, parmi tous les nombreux souhaits que suivant l'usage antique et solennel je t'expédie du fond de ma Thébaïde, je mets celui de te voir continuer longtemps ce caprice qui m'a valu l'an dernier d[e] si longues lettres, --- et celui de voir bientôt M[ademoise]lle Léo remise. Ce que je souhaite de t[ou]t coeur, ainsi que moultes aultres chouses dont le détail serait trop long, et qui se résument en gros par le mot Illusions.
Que fais[-]tu de bon? as[-]tu bloqué pendant les vacances, as[-]tu peloté l'histoire, le grec, la morale et le reste? ou bien es[-]tu resté plongé au sein d[e] l'Art Pur?
Pour moi, après avoir bien travaillé pendant les mois d'Octobre et novembre, j'ai été en grève pendant décembre à cause du froid; je vais recommencer lundi à bloquer.
Confirme ton épatement: j'ai travaillé — pour mes cours bien entendu; mes cahiers s[on]t restés soigneusement fermés. — J'ai fait d[e] la philosophie, d[e] l'esthétique (Hegel, Schopenhauer, oui Monsieur!) etc. J'ai même lu Georges Garnir: les Charneux.[5]
Je lis pour le moment L'Allemagne de Mme De Stael[6] et l'Ane d[e] Hugo[7] (Nom de Dieu! quel fatras!)
J'espère que tu me donneras le bon exemple, et que tu m'écriras bientôt, beaucoup. Je te serre la main cordialement et vigoureusement, en te souhaitant des tas d[e] choses pour l'an qui commence.
Ton vieux fidèle
Robert
Samedi Matin[8]
P[ost Scriptum] Je croyais aller vous dire bonjour pendant ces vacances; j'avais reçu d[e] mon cousin une invitation, que j'ai dû refuser à cause de la reprise des cours lundi. Je ne sais si j'irai à Brux[elles] avant Pâques; j'ai envie d'aller y passer le Carnaval. n'oublie s'il te plaît pas trop le vieil erratiq[ue] d[e] Barvaux. "Qu'il est joyeux sur la montagne le pas du facteur qui apporte des nouvelles de Guste."
[3]
A propos, comment s'est dénoué le soir de la revue l'imbroglio des trois typesses pour le type (tres par ùno)[9]
Jacques me dit en faisant la revue de la salle avoir vu... "Léo, accompagnée de Alfred,[10] souteneur intérimaire," .... abîme .... ombre .... doute ... qu'est[-]ce que cela veut dire?
Annotations
[2] De anonieme brief werd niet teruggevonden. Waarschijnlijk hield hij verband met de gebeurtenissen rond de opvoering van de studentenrevue Le Garde-ville à coulisse; ou Les Débordements de Zuliette Crapulet. Zie ook brief 187 (1891), noot 4. Legros studeerde van 1890 tot 1897 geneeskunde aan de Rijksuniversiteit Luik. Zie ook brief 176bis, noot 1 en brief 235bis.
[3] Bedoeld wordt: Jacques Dwelshauvers.
[4] Zie brief 210 (1891) en brief 214 (1891). Voor de hele geschiedenis met Léo, zie uit de correspondentie van 1891 ook de brieven 78, 86, 87, 93, 98, 100, 111, 137, 162, 166, 168, 199).
[6] Mme de Staël, De L'Allemagne. De hele oplage (10.000 exemplaren) werd, vooraleer ze de drukkerij kon verlaten, door de censuur in beslag genomen en vernietigd. Slechts drie jaar later verscheen het werk te Londen. Zie P. Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle (Paris, Administration du Grand Dictionnaire Universel, 1875, deel 14, s.v. STAEL. We hebben deze eerste uitgave niet teruggevonden. In de editie die in 1850 verscheen bij de Librairie Firmin Didot te Parijs, is de inleiding gedateerd op 1 oktober 1813. We hebben niet kunnen achterhalen in welke uitgave Legros dit werk heeft gelezen.
[7] Victor Hugo, L'Ane (Paris, Calmann-Lévy, 1880).
[8] Zaterdag 2 januari 1892.
