Monsieur Auguste Vermeylen
Etudiant
Rue Pachéco 81
Bruxelles
Etudiant
Rue Pachéco 81
Bruxelles
BRUXELLES 1
14 OCTO 1892 2-S
Barvaux, Jeudi soir
14 oct[ober] 92
Mon cher Auguste
Quand un bataillon est en marche, il arrive par suite des accidents du chemin, que deux hommes d'une même ligne cessent de s'apercevoir; mais ensuite, quand quelques boulets ont fait des tracées dans les rangs qui se resserrent, ils finissent par se retrouver coude à coude comme la veille, et cette séparation n'est plus pour eux qu'un motif de se serrer plus l'un contre l'autre.
N'est[-]ce pas un peu notre histoire, et devons[-]nous faire autrement et parce que notre troupe est dispersée, rester chacun de notre côté? Je réponds hardiment "non"... et toi? toi aussi, n'est[-]ce pas? Quelles sont, en définitive, ces raisons qui nous ont fait étrangers l'un à l'autre si longtemps?
De ma part, Jacques te l'aura peut[-]être dit, c'est fatigue, lassitude à penser et à agir, mis de cet état de révolte perpétuelle et de mauvaises dispositions où m'ont mis ces vacances, et mes démêlés avec Papa, discorde sourde, sans cause ce qui la rend difficile à apaiser en empêchant toute explication.
De ta part, c'est sans doute du ressentiment contre moi, et de nombreux doutes (trop justifiés, je l'avoue) au sujet d'une amitié qui sait si mal se prouver;
Tu as eu raison; tu exprimais déjà ces doutes dans une lettre que tu m'envoyais il y a trois mois;[1] je t'ai répondu
[2]
immédiatement, avec la plus grande joie; ma réponse t'a-t-elle semblée insuffisante, et as[-]tu quand[-]même douté? N'as[-]tu pas cru à cette vieille amitié qui me fait aujourd'hui t'écrire? tu n'as pas répondu, tu n'as pas pris cette main que je te tendais suivant une si vieille, vieille et bonne coutume?
Maintenant que les autres sont partis, nous laissant face à face, je te la tends de nouveau, pour une poignée de main sincère et pleine de réconciliation et d'oubli; la prendras[-]tu comme je l'espère, ou veux[-]tu nous garder ce remord inévitable du jour où la vie nous fera nous rencontrer de nouveau, étrangers l'un à l'autre, et pleins encore du souvenir du temps où nous partagions en frères nos joies et nos peines?
J'attends avec impatience ta réponse, et cette réponse, et cette réponse, n'est[-]ce pas, sera celle que mon coeur, tout faible et inconséquent qu'il puisse être, ferait à ta place; en attendant, je reste quoi qu'il puisse advenir de nous ton bien sincèrement affectueux
Robert
Annotations
[1] Brief niet teruggevonden.
